Plusieurs aspects de cet appel à débat relèvent de l’évidence, même si on ne doit pas exagérer leur portée.
- Le moratoire, en particulier, est de façon absolument unanime exigée par tous ceux qui travaillent autour du concours, et serait évidemment indispensable à l’existence d’une réflexion sérieuse. Cela dit, je me souviens de la rentrée 1991, quand personne ne comprenait rien à l’épreuve sur dossier et que Dominique Borne en personne devait téléphoner dans l’urgence aux responsables des préparations en province (dont j’étais) pour essayer de dissiper les malentendus. Les conditions non plus n’étaient pas très bonnes, cela n’a pas conduit à la catastrophe.
- Acceptons de même la critique de bon sens sur la suppression du stage en responsabilité, qui est le vrai problème de cette réforme : là encore, tout le monde s’accorde aussi à exiger des décharges importantes la première année d’exercice, cette transition pour l’entrée dans le métier étant absolument nécessaire. Mais relativisons de même le « drame » que cela représente. Cette mesure improvisée sera facile à corriger, justement en donnant un peu plus de décharges, quand le constat sera fait du caractère indispensable de cette transition. Et par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme votre texte, rien n’interdit les IUFM, dès lors qu’ils s’accordent avec le rectorat sur ce point, d’organiser un stage en responsabilité de trois ou quatre mois. L’obstacle légal est imaginaire (et traduit d’ailleurs toute une culture française de la fonction publique) : s’il était réel, un recteur ne pourrait pas recruter des non-fonctionnaires contractuels et leur confier une classe… Preuve peut-être qu’un peu de connaissance du droit public, contenu dans la troisième épreuve d’oral, peut être utile pour participer au débat sur l’éducation. Bien sûr, cela nécessitera des formes un peu plus compliquées qu’une mise en stage statutaire (il faudra passer par des contrats et des conventions), et cela va peut-être faire reculer les responsables de formation qui n’auront pas envie d’y gaspiller leur énergie ; mais si on veut le faire, on le peut, cela relève de l’autonomie des universités et des équipes qui seront chargées de l’organisation et de l’accompagnement de ces stages. Mieux, nous y serons peut-être obligés : comment, par exemple, parviendrons-nous à donner un master aux candidats et aux lauréats à l’agrégation interne si nous ne leur libérons pas une partie de leur emploi du temps ? Il n’y aura pas de moyens : l’idée de les faire remplacer par des étudiants en master n’est pas absurde.
Je suis bien plus critique sur vos objections aux épreuves d’écrit. D’abord par l’emploi abusif, dans tout ce débat, du terme «disciplinaire », un sujet sur lequel je travaille en ce moment. Un minimum de prise de recul historique éviterait de confondre une spécialité universitaire avec une discipline scolaire. Une discipline scolaire n’est en rien un découpage du savoir fixé de toute éternité, c’est un outil pédagogique inventé par et pour l’enseignement secondaire dans le but de discipliner l’esprit des adolescents qu’il éduquait. Le programme scolaire et, effectivement, le travail effectué en classes préparatoires, incarnent très bien cet outil : état du savoir un peu décalé par rapport à la recherche de façon à qu’il ait eu le temps d’être didactisé. Un concours sur l’ensemble des programmes est de ce point de vue infiniment plus « disciplinaire » que le concours actuel qui demande aux étudiants de travailler sur la Germanie au 10ème siècle (là, on n’est pas dans le disciplinaire, on est dans le spécialisé), un sujet qu’ils n’auront jamais à enseigner : si le jury du CAPES avait décidé de suicider les questions de concours sur programme spécifique, il ne s’y serait pas pris autrement.
L’invocation de « problèmes spécifiques » est un classique de la littérature des lobbies disciplinaires, qui se gardent en général bien de justifier cette « spécificité » copieusement invoquée pour garantir leur territoire (voir par exemple sur cette réforme les exigences de l’éducation physiques dont les « spécificités » exigent, bien sûr, cinq voire six épreuves et non quatre). La « spécificité », c’est notre façon de dire « not in my backyard » : les lettres posent dans leur CAPES des sujets sur « toute » la littérature, mais cela les concerne, ce qui est possible chez eux (ou en mathématiques) est impossible chez nous. En outre, que je sache, personne n’a pétitionné pour expliquer que l’épreuve dite « hors-programme » de l’agrégation conduisait à « un niveau d’exigence très bas ». Faut-il supposer que, pour un concours noble, les vastes étendues du savoir historique et géographique traduisent une authentique culture d’élite alors que pour un concours roturier comme le CAPES, cela se traduit nécessairement par des manuels superficiels et vulgaires ?
Enfin, sur la façon d’y intégrer une dimension réflexive (histoire et épistémologie de nos disciplines), j’ai envie de répondre : mettons-nous au travail. L’épreuve sur dossier avait été une très brillante innovation au moment de sa création. Elle nous faisait faire avec nos étudiants un travail passionnant qui, en fin de parcours d’études, les ouvraient à des questions fondamentales qui très souvent étaient pour eux une révélation fascinante. C’est probablement une des raisons de notre très fort attachement à cette épreuve. Mais elle avait vieilli et avait été rattrapée par la vogue de l’historiographie. Les UE de licences qui y étaient consacrées se sont multipliées, et il n’est plus un travail de master qui ne commence par une problématisation historiographique. L’épreuve est nettement moins originale et elle ne comble plus une lacune béante des études d’histoire et de géographie. Du coup, elle s’est un peu figée et académisée, les questions d’épistémologie l’emportant sur la problématique de la transmission : plus rituelle, moins utile, elle méritait d’être revisitée. L’idée de l’intégrer aux épreuves de contenu, donc de demander une mise en œuvre concrète des connaissances historiographiques et épistémologiques ne me paraît pas stupide.
Comment faire, demandez-vous ? Tentons l’exercice : soit une question du programme de première, les guerres du premier vingtième siècle, 1914-1945. Il ne me paraît pas difficile de demander d’abord un premier exercice historiographique de deux pages environ, se fondant sur trois-quatre textes (mettons : Droz, Mosse, Prost, Audoin-Rouzeau) ; puis une mise en œuvre des problématiques dégagées dans cette première partie à travers un récit périodisé et porteur de sens des principales étapes de la montée aux extrêmes de ce que les programmes scolaires nomment le « réensauvagement des sociétés ». En quoi cet exercice a-t-il un « niveau d’exigence très bas » ? En quoi est-il « superficiel » ? Et je ne doute pas que vous saurez sans peine améliorer ce petit bricolage improvisé.
La seconde épreuve orale sur le système éducatif me semble, au contraire, particulièrement bienvenue. Il est bon qu’un enseignant ait réfléchi à l’organisation du système éducatif dans lequel il travaille. La forme de l’étude de cas, que l’on trouve par exemple dans le CAPES « documentation » ou dans le concours des CPE, évite justement l’écueil « bachotage formaliste » et on n’est amené à considérer ces matières comme « ennuyeuses » que lorsque l’on refuse, par manque de curiosité intellectuelle, de s’intéresser au droit et à la sociologie de l’éducation (et peut-être à l’histoire de l’éducation), qui sont des spécialités passionnantes et nettement plus « utiles » au bagage du futur enseignant que la Germanie au 10ème siècle : cela ne me laisse nullement « perplexe ». Que, dans ce jury-là, siègent un maire, un conseiller général, un juge pour enfant ou un inspecteur d’académie ne me semble nullement scandaleux, c’est d’ailleurs fréquent dans divers oraux de recrutement de fonctionnaires.
Je serai plus hésitant sur la leçon d’oral, qui effectivement me met un peu mal à l’aise par son côté théâtre d’ombre d’une leçon devant un public absent, d’une abstraction d’enseignement qui risque de prendre bien des formes un peu ridicules. Mais l’intention n’est pas mauvaise et le « cadrage » reste très vague sur la forme : à nous de faire preuve d’imagination pour construire une épreuve sérieuse et conduisant à une réelle réflexion sur le métier. Je n’ai pas de réponse à chaud sur ce point, je crois qu’il faut effectivement le travailler collectivement : le débat auquel vous nous invitez est très certainement un des meilleurs lieux pour le faire.
- Le moratoire, en particulier, est de façon absolument unanime exigée par tous ceux qui travaillent autour du concours, et serait évidemment indispensable à l’existence d’une réflexion sérieuse. Cela dit, je me souviens de la rentrée 1991, quand personne ne comprenait rien à l’épreuve sur dossier et que Dominique Borne en personne devait téléphoner dans l’urgence aux responsables des préparations en province (dont j’étais) pour essayer de dissiper les malentendus. Les conditions non plus n’étaient pas très bonnes, cela n’a pas conduit à la catastrophe.
- Acceptons de même la critique de bon sens sur la suppression du stage en responsabilité, qui est le vrai problème de cette réforme : là encore, tout le monde s’accorde aussi à exiger des décharges importantes la première année d’exercice, cette transition pour l’entrée dans le métier étant absolument nécessaire. Mais relativisons de même le « drame » que cela représente. Cette mesure improvisée sera facile à corriger, justement en donnant un peu plus de décharges, quand le constat sera fait du caractère indispensable de cette transition. Et par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme votre texte, rien n’interdit les IUFM, dès lors qu’ils s’accordent avec le rectorat sur ce point, d’organiser un stage en responsabilité de trois ou quatre mois. L’obstacle légal est imaginaire (et traduit d’ailleurs toute une culture française de la fonction publique) : s’il était réel, un recteur ne pourrait pas recruter des non-fonctionnaires contractuels et leur confier une classe… Preuve peut-être qu’un peu de connaissance du droit public, contenu dans la troisième épreuve d’oral, peut être utile pour participer au débat sur l’éducation. Bien sûr, cela nécessitera des formes un peu plus compliquées qu’une mise en stage statutaire (il faudra passer par des contrats et des conventions), et cela va peut-être faire reculer les responsables de formation qui n’auront pas envie d’y gaspiller leur énergie ; mais si on veut le faire, on le peut, cela relève de l’autonomie des universités et des équipes qui seront chargées de l’organisation et de l’accompagnement de ces stages. Mieux, nous y serons peut-être obligés : comment, par exemple, parviendrons-nous à donner un master aux candidats et aux lauréats à l’agrégation interne si nous ne leur libérons pas une partie de leur emploi du temps ? Il n’y aura pas de moyens : l’idée de les faire remplacer par des étudiants en master n’est pas absurde.
Je suis bien plus critique sur vos objections aux épreuves d’écrit. D’abord par l’emploi abusif, dans tout ce débat, du terme «disciplinaire », un sujet sur lequel je travaille en ce moment. Un minimum de prise de recul historique éviterait de confondre une spécialité universitaire avec une discipline scolaire. Une discipline scolaire n’est en rien un découpage du savoir fixé de toute éternité, c’est un outil pédagogique inventé par et pour l’enseignement secondaire dans le but de discipliner l’esprit des adolescents qu’il éduquait. Le programme scolaire et, effectivement, le travail effectué en classes préparatoires, incarnent très bien cet outil : état du savoir un peu décalé par rapport à la recherche de façon à qu’il ait eu le temps d’être didactisé. Un concours sur l’ensemble des programmes est de ce point de vue infiniment plus « disciplinaire » que le concours actuel qui demande aux étudiants de travailler sur la Germanie au 10ème siècle (là, on n’est pas dans le disciplinaire, on est dans le spécialisé), un sujet qu’ils n’auront jamais à enseigner : si le jury du CAPES avait décidé de suicider les questions de concours sur programme spécifique, il ne s’y serait pas pris autrement.
L’invocation de « problèmes spécifiques » est un classique de la littérature des lobbies disciplinaires, qui se gardent en général bien de justifier cette « spécificité » copieusement invoquée pour garantir leur territoire (voir par exemple sur cette réforme les exigences de l’éducation physiques dont les « spécificités » exigent, bien sûr, cinq voire six épreuves et non quatre). La « spécificité », c’est notre façon de dire « not in my backyard » : les lettres posent dans leur CAPES des sujets sur « toute » la littérature, mais cela les concerne, ce qui est possible chez eux (ou en mathématiques) est impossible chez nous. En outre, que je sache, personne n’a pétitionné pour expliquer que l’épreuve dite « hors-programme » de l’agrégation conduisait à « un niveau d’exigence très bas ». Faut-il supposer que, pour un concours noble, les vastes étendues du savoir historique et géographique traduisent une authentique culture d’élite alors que pour un concours roturier comme le CAPES, cela se traduit nécessairement par des manuels superficiels et vulgaires ?
Enfin, sur la façon d’y intégrer une dimension réflexive (histoire et épistémologie de nos disciplines), j’ai envie de répondre : mettons-nous au travail. L’épreuve sur dossier avait été une très brillante innovation au moment de sa création. Elle nous faisait faire avec nos étudiants un travail passionnant qui, en fin de parcours d’études, les ouvraient à des questions fondamentales qui très souvent étaient pour eux une révélation fascinante. C’est probablement une des raisons de notre très fort attachement à cette épreuve. Mais elle avait vieilli et avait été rattrapée par la vogue de l’historiographie. Les UE de licences qui y étaient consacrées se sont multipliées, et il n’est plus un travail de master qui ne commence par une problématisation historiographique. L’épreuve est nettement moins originale et elle ne comble plus une lacune béante des études d’histoire et de géographie. Du coup, elle s’est un peu figée et académisée, les questions d’épistémologie l’emportant sur la problématique de la transmission : plus rituelle, moins utile, elle méritait d’être revisitée. L’idée de l’intégrer aux épreuves de contenu, donc de demander une mise en œuvre concrète des connaissances historiographiques et épistémologiques ne me paraît pas stupide.
Comment faire, demandez-vous ? Tentons l’exercice : soit une question du programme de première, les guerres du premier vingtième siècle, 1914-1945. Il ne me paraît pas difficile de demander d’abord un premier exercice historiographique de deux pages environ, se fondant sur trois-quatre textes (mettons : Droz, Mosse, Prost, Audoin-Rouzeau) ; puis une mise en œuvre des problématiques dégagées dans cette première partie à travers un récit périodisé et porteur de sens des principales étapes de la montée aux extrêmes de ce que les programmes scolaires nomment le « réensauvagement des sociétés ». En quoi cet exercice a-t-il un « niveau d’exigence très bas » ? En quoi est-il « superficiel » ? Et je ne doute pas que vous saurez sans peine améliorer ce petit bricolage improvisé.
La seconde épreuve orale sur le système éducatif me semble, au contraire, particulièrement bienvenue. Il est bon qu’un enseignant ait réfléchi à l’organisation du système éducatif dans lequel il travaille. La forme de l’étude de cas, que l’on trouve par exemple dans le CAPES « documentation » ou dans le concours des CPE, évite justement l’écueil « bachotage formaliste » et on n’est amené à considérer ces matières comme « ennuyeuses » que lorsque l’on refuse, par manque de curiosité intellectuelle, de s’intéresser au droit et à la sociologie de l’éducation (et peut-être à l’histoire de l’éducation), qui sont des spécialités passionnantes et nettement plus « utiles » au bagage du futur enseignant que la Germanie au 10ème siècle : cela ne me laisse nullement « perplexe ». Que, dans ce jury-là, siègent un maire, un conseiller général, un juge pour enfant ou un inspecteur d’académie ne me semble nullement scandaleux, c’est d’ailleurs fréquent dans divers oraux de recrutement de fonctionnaires.
Je serai plus hésitant sur la leçon d’oral, qui effectivement me met un peu mal à l’aise par son côté théâtre d’ombre d’une leçon devant un public absent, d’une abstraction d’enseignement qui risque de prendre bien des formes un peu ridicules. Mais l’intention n’est pas mauvaise et le « cadrage » reste très vague sur la forme : à nous de faire preuve d’imagination pour construire une épreuve sérieuse et conduisant à une réelle réflexion sur le métier. Je n’ai pas de réponse à chaud sur ce point, je crois qu’il faut effectivement le travailler collectivement : le débat auquel vous nous invitez est très certainement un des meilleurs lieux pour le faire.