samedi 25 octobre 2008

Contribution d’Olivier DUMOULIN

Olivier Dumoulin, Professeur des Universités, histoire contemporaine, Université de Caen Basse-Normandie, membre du jury du CAPES d’histoire-géographie, Epreuve sur dossier.

Cet argumentaire se déploie sur trois plans : une réflexion globale pour la protection de l’éducation nationale, un souci de défense de la recherche universitaire, et enfin des positions et des propositions spécifiques au titre du recrutement des professeurs d’histoire et de géographie


1- Conservatisme ou réformisme : un faux débat.

Comme chercheur, enseignant, citoyen et, parfois, comme parent je ne peux pas me satisfaire du refus de toute modification pour fonder mon hostilité mais, tel qu’il est, ce projet se pare de vertus qu’il usurpe.
Il ne remédierait pas aux défauts inhérents aux concours tels qu’ils fonctionnent. tout en accroissant leur part d’arbitraire et d’inadéquation à l’exercice du métier de professeur.


11 La « mastérisation » approfondissement de la formation : un leurre

La mastérisation améliorerait, en la prolongeant, la formation des enseignants : il s’agit d’un pur et simple leurre.
Aujourd’hui un étudiant doit obtenir une licence, consacrer un an à la préparation des concours et suivre d’une année en IUFM, avec une charge de cours très modeste afin de terminer sa formation en compagnie d’un tuteur et avec des éclairages pédagogiques complémentaires à l’IUFM. Soit 5 années de formation.
Demain après trois années de licence et deux années de master, le jeunes professeur assurera d’emblée un service quasi complet avec les conseils d’un ancien. Soit 5 années de formation effective.
Sans parler des programmes des épreuves, on peut donc avancer avec certitude que la réforme n’approfondit en rien la formation. Ajoutons qu’une proportion dominante des candidats, dans certaines disciplines, avait souscrit aux obligations d’un Master 1 avant son succès au concours puis au CAPES pratique qui, de fait, consacrait un parcours sur 6 ans.

12 Ce projet préparerait mieux au métier d’enseignant grâce à l’épreuve pédagogique : un faux-semblant.

Évaluer une formation au terme de quelque mois de préparation n’a aucun sens. Si l’épreuve pédagogique se déroule après trois semestres au cours de la seconde année de master, 30% du temps de formation sur trois semestres, au maximum, auront été consacrés à la découverte de la pédagogie et de la didactique sans aucun stage obligatoire.
En clair le 1/5 du temps que les étudiants en médecine passent au chevet des malades, en l’occurrence sans jamais voir un patient (pardon un élève). Soit il s’agit d’évaluer de véritables savoir-faire et il convient d’assurer une progression de plusieurs années, comme en médecine avec une maîtrise accompagnée et progressive du savoir-faire, soit il s’agit d’une pâle imitation décontextualisée de la dite pratique et par conséquent d’une comédie. Effet secondaire et dévastateur, les lauréats confortés par leur réussite pourraient avoir la conviction que cette imitation dénaturée correspond au métier de professeur. Signalons au passage la fin du CAPES pratique qui, en dépit de ses défauts, sanctionnait une prestation devant une véritable classe et non un aréopage d’enseignants.

13 L’illusion de l’adaptation à l’employeur : la confusion de la sélection et de la formation

« Connaître la maison » serait le but du dernier temps de la sélection. Pour entrer chez IBM je n’ai jamais entendu dire qu’il fallait connaître les rouages d’IBM et l’on pourrait à bon droit penser que cette tâche de découverte n’incombe pas au candidat mais à l’employeur. Des décharges de cours pourraient avec profit permettre au jeune professeur de suivre tantôt le principal, tantôt le CPE, tantôt les conseils de classe dans leur pratique quotidienne. Mais, dans le contexte présenté, il s’agit au mieux d’un contrôle technique de connaissance des textes, au pire du placage de conseils de formatage sans aucune appropriation. En clair, si les objectifs sont véritablement ceux d’une meilleure adéquation à l’entreprise collective d’éducation nationale, il ne devrait pas s’agir d’une opération de sélection mais d’une entreprise de formation de personnels, reconnus compétents par ailleurs.

14 « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » : non.

La mise en évidence de cette triple défaillance du projet en l’état ne revient pas à couvrir les procédures actuelles de louanges. Mais la réforme n’est pas en soi un progrès : une réforme peut être encore pire que le mal. En l’occurrence c’est le cas : il s’agit d’économiser en « formant » mieux, malheureusement les formes choisies vont certes permettre des économies (les lauréats vont produire immédiatement les 4/5 d’un service en lieu et place d’un tiers !) mais les solutions choisies sont au mieux inefficaces, au pire dangereuses.

2 Une menace contre les fonctions et les contenus de l’enseignement supérieur : une mastérisation perverse

21 La recherche hors sol.

En faisant d’un master « parcours enseignement », diplôme et préparation d’un concours d’un seul et même élan, le sésame de l’entrée dans le paradis enseignant, le projet déconnecte totalement les étudiants les plus nombreux de la recherche avant même d’y avoir goûté. Bien que le cabinet du Ministre de l’Enseignement supérieur prétende préserver la part de recherche, le cahier des charges de ce master préparation au concours de recrutement ne peut guère lui faire de place en déclinant déjà sur trois semestres l’initiation à la didactique et à la pédagogie et la maîtrise critique de la démarche et des contenus des programmes de l’enseignement secondaire.
Seuls les étudiants convaincus de pouvoir s’aventurer dans la quête d’un poste de chercheur ou d’universitaire s’engageront sur les voies arides de master recherches qui ne les prépareraient pas aux concours. Par conséquent devant des salles de séminaire vidées, pour certaines disciplines de sciences humaines et de lettres, l’enseignement de master recherche va ressembler à de la culture hors sol.


22 Les reçus collés

En l’état actuel le concours qui requiert l’obtention du master 2 se déroule avant sa sanction finale, au moins en ce qui concerne les épreuves d’admissibilité et la première partie des épreuves d’admission. On devine par avance les pressions qui s’exerceront sur les jurys universitaires quand des candidats élus par la voie du concours ne satisferont pas aux exigences du jury universitaire. La chronologie superpose de facto le registre de la collation des grades et celui de l’obtention d’un concours de la fonction publique.
Inversement on devine que les élus du master, collés au concours, formeront un vivier très exploitables de « maîtres-auxiliaires » pour l’employeur.

23 Une menace contre les savoirs

Ce point de vue ne vaut pas dans l’absolu et dépend de la nature des épreuves selon les disciplines. Reconnaissons d’abord que la nouveauté n’existe que pour l’honorable corporation des historiens-géographes puisque dans nombre de disciplines, à l’inverse de l’agrégation les programmes du CAPES sont déjà ceux des lycées et collèges. Toutefois la répartition de l’effort des candidats en fonction de la pondération des épreuves implique de facto une diminution de l’exigence, y compris pour les disciplines qui avaient déjà pour programme les contenus des lycées et collèges. L’investissement disciplinaire ne représente plus que 40% de l’effort des candidats.
Si le professeur n’est qu’un simple manipulateur de manuels : aucun problème. Mais cela implique qu‘au sortir de la licence, l’étudiant maîtrise la totalité des théories, des méthodes et des savoirs nécessaires pour utiliser les manuels en critique averti. On ne peut que redouter l’effet de cette contrainte sur l’enseignement supérieur, submergé par les exigences factuelles au détriment de l’apprentissage long et rigoureux de la méthode intellectuelle.

3 Les difficultés inhérentes à l’histoire

31 La recherche initiation au rôle d’enseignant

L’activité de recherche, en histoire en particulier, va donc se trouver réduite à sa plus simple expression. La recherche n’était pas obligatoire jusque là (CAPES dès la licence) et, pour ses détracteurs, la rédaction d’un mémoire sur un objet précis et ponctuel est aux antipodes du métier d’enseignant.À mon sens c’est tout le contraire ! La recherche fait éprouver au jeune étudiant ce constat essentiel : l’histoire n’est pas donnée, elle s’écrit. Tout commence par l’incertitude face à une somme de questions. Redécouvrir l’ignorance fondamentale, c’est une propédeutique essentielle pour comprendre les difficultés de l’élève confronté à un programme classique pour l’enseignant, d’une nouveauté radicale pour lui.
Ainsi, avec la création de Master qui évacue de fait la recherche, la réforme élimine, à mon sens, un élément crucial de formation pour le futur professeur.

32 Une solution trompeuse : quand la culture « générale » conduit au psittacisme

Connaître d’une façon approfondie l’ensemble des contenus de l’enseignement secondaire renvoie la maîtrise de la discipline historique à la seule maîtrise des faits et de la culture générale. Certains peuvent s’en réjouir, à mon sens il s’agit d’un trompe-l’œil. Devant l’étendue des programmes il est clair que la seule maîtrise factuelle, associée à une bonne rhétorique de classe préparatoire tiendra lieu de sens et de problématiques historiques. Quant à la connaissance de l’évolution de la discipline, l’étendue du programme la rend vaine pour des débutants.

33 Le statu quo ante est-il tenable ?

Préserver des questions, assez étroites partagées avec l’agrégation, place ce concours à part parmi les disciplines d’enseignement général des lycées. Sans entrer dans les questions de principe cela fragilise notre position par sa singularité.
Cependant cette solution présente pour les deux disciplines associées des avantages dont nous sommes souvent convaincus (pas tous si j’en crois les propos de certains IPR). Cependant le maintien à tout prix de cette position risque de fragiliser le front uni transdisciplinaire auquel je nous appelle.
Je suis très sceptique sur l’idée d’une écrit disciplinaire portant sur les programmes dans leur ensemble. D’une part des sujets couvrant les programmes des lycées et collèges posent le problème de la disparité du niveau d’exigence entre les questions approfondies au lycée et celles qui ne sont vues qu’en 6è et en 5è (Histoire ancienne et médiévale, moderne aussi pour l’essentiel) . D’autre part j’y suis hostile pour le motif évoqué plus haut.

Aussi je suggère d’explorer deux voies. La première, évoquée par de nombreux collègues, revient à reprendre le libellé des programmes mais seulement pour une partie d’entre eux, en changeant tous les deux ans les questions retenues. La seconde, beaucoup plus hétérodoxe, part du principe que ce ne sont pas les connaissances qui doivent être ici vérifiées mais l’aptitude à s’élever en position de critique et d’utilisateur expert des manuels. L’épreuve écrite, à inventer partirait de cette suggestion pour trouver une forme particulière.

34 Jeter le bébé avec l’eau du bain : quid de l’ESD ?

Je sais que la forme trouvée par l’ESD en histoire géographie semble beaucoup trop théorique à certains collègues et pour citer une formule lue sur le blog « l’histoire et l’épistémologie de la discipline » seraient inutiles pour des enseignants de collège. Nous sommes plusieurs à être d’un avis opposé.
Ici je n’écris plus seulement comme historien mais aussi comme citoyen et parent d’élève : le choix des termes, la réflexion sur la construction des catégories et l’élaboration des enjeux du savoir me semblent devoir constituer la part immergée de la formation d’une enseignant conscient de ses responsabilités. Certes il n’utilisera pas explicitement cette part critique de sa formation, mais le concours doit permettre de savoir si le futur enseignant parlera d’identité, de génocide, de culture, de mémoire … en ayant conscience des choix intellectuels que chacun de ces termes soulèvent lorsqu’il prépare son cours.