samedi 8 novembre 2008

Tribune réforme des concours de l'enseignement

Désossons le mammouth et mangeons-le !


Un train de réformes peut en cacher un autre. Et au milieu de la voie : l’école, le collège, le lycée, l’université… La campagne actuelle de suppressions de postes d’enseignants, les fermetures de classes, les bouleversements incessants des programmes et des parcours empêchent, malgré leur médiatisation, de bien mesurer ce qui se joue en ce moment même, dans l’œil du cyclone. La stratégie est claire : frapper en même temps, dans toutes les directions, dans toutes les disciplines, pour interdire toute réflexion d’ensemble, toute mobilisation commune.
Le 13 octobre dernier, après quelques semaines seulement de consultations sélectives, le gouvernement a rendu public son projet de réforme des concours de recrutement des professeurs des écoles ainsi que des enseignants du second degré. Dans la foulée, les universités se voient intimer l’ordre d’intégrer cette réforme – en deux mois à peine ! – dans leur offre de formation, alors même qu’aucun texte de cadrage précis n’a été fourni par le ministère. Le recrutement des enseignants de collège et de lycée au niveau Master (bac + 5), exigé au nom d’une normalisation européenne qu’on peut comprendre et souhaiter, porte cependant en l’état des conséquences funestes à tous les niveaux. Ainsi, la disparition de l’année de stage rémunérée qui est reversée dans la formation de Master, quant à elle à la charge des universités bien entendu et sans développement du système d’aides publiques aux étudiants. Surtout, cette manœuvre conduit à la suppression d’une formation en alternance où les enseignants débutants apprennent leur métier tout en commençant à l’exercer. Des profs prêts à l’emploi dès leur recrutement : belle économie budgétaire ! Mais encore : on voit se profiler la possibilité pour les établissements scolaires de recruter des titulaires d’un futur « Master enseignement » même s’ils ont échoué au concours. Ceux-là subiront la double peine : une formation initiale inaboutie et une précarité structurelle de leur statut.
Le contenu de la réforme des concours maintenant. Prenons le cas du secondaire. Actuellement, par discipline, chaque CAPES comprend des épreuves écrites et orales évaluées par un jury composé d’enseignants, de formateurs relevant des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres et d’inspecteurs de l’Education nationale. Dans la nature des épreuves, comme dans le poids des coefficients, les savoirs sont ce qui compte le plus. Qu’est-on en droit d’attendre d’un étudiant qui se destine au métier d’enseignant – mais n’a encore jamais enseigné – sinon qu’il fasse la démonstration de la qualité de sa formation initiale, y compris en termes d’aptitudes pédagogiques ? Enfin, tous les CAPES comprennent à l’oral une « épreuve sur dossier », fort exigeante, où le candidat, à partir d’une étude de cas, doit montrer sa capacité à réfléchir sur l’histoire de sa discipline et les enjeux de son enseignement.
Or dans le futur concours, la part des connaissances attendues ne représentera au mieux que 40 % des coefficients totaux, contre 75 à 80 % actuellement. Pire, les épreuves d’admission n’en tiendront aucun compte. L’essentiel de l’évaluation prendra la forme d’un exercice pédagogique (faire un cours) et d’un entretien de connaissance du système éducatif et de ses institutions. Quant aux programmes dans chaque discipline ? Tout simplement ceux des collèges et des lycées. Pour certaines disciplines, pourquoi pas, mais pour d’autres, on peut fortement s’inquiéter. Prenons l’exemple de l’Histoire-Géographie : le candidat devra en toute humilité maîtriser l’histoire de l’humanité des origines à nos jours et l’espace mondial… Là encore, il faut décrypter l’impact réel de la mesure : non seulement, nous allons vers un appauvrissement de la culture disciplinaire dans la formation initiale (on attendra d’un futur enseignant qu’il ait la culture généraliste d’un bon élève de lycée…) mais, en cascade, c’est le dynamisme de la recherche universitaire – fortement dépendante des programmes des concours dans de nombreuses disciplines – qui va en souffrir. De même, la fin du couplage des programmes du CAPES et de l’Agrégation signifie, concrètement, que de nombreuses universités, incapables d’assurer de front deux préparations distinctes, se consacreront au CAPES exclusivement. Conséquence : les étudiants qui n’auront ni la chance ni les moyens de vivre à proximité d’une des universités qui présentera des candidats aux deux concours perdront l’accès à une voie d’excellence qui les mène vers l’enseignement en lycée ou à l’université.
Mais alors, si cette réforme met à ce point en péril le niveau de compétences de nos futurs enseignants, pourquoi l’université ne se mobilise-t-elle pas comme un seul homme contre ce projet ? Les actions sont nombreuses, même si elles ne sont pas toujours suffisamment visibles mais, suprême succès de la stratégie ministérielle, la crainte paralyse plus qu’elle ne libère : chaque université qui ne se lance pas à toutes forces dans la mise en œuvre de cette réforme (qu’on appelle dans le jargon la « mastérisation des enseignants »), risque de voir l’université voisine, plus prompte à soumettre sa copie au ministère, attirer ses étudiants. Or, on sait que, dans certaines disciplines, les concours d’enseignement sont le débouché majoritaire des étudiants.
C’est ainsi que, précipitées dans une course à l’échalote, les universités sont en train de devenir cannibales…
La finalité de la réforme actuelle ? Elle est clairement affichée dans le communiqué de presse du ministère de l’éducation nationale et disponible sur son site : « passer dans le concours de recrutement de professeurs d’une logique de revalidation du niveau universitaire à une logique de recrutement conforme aux besoins de l’employeur ». Quels sont les besoins immédiats de « l’employeur éducation nationale » ? Former et éduquer mieux au bénéfice du plus grand nombre ? Ou bien rationaliser ses coûts de fonctionnement dans une logique purement comptable, au détriment du niveau de formation de ses enseignants et de leurs élèves ? Voilà une question de « connaissance de l’institution » qui pourrait être soumise prochainement à la sagacité des candidats à l’emploi de professeur…

Damien Boquet, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille I / Institut Universitaire de France, ancien membre du jury du CAPES d’histoire-géographie

Julien Dubouloz, maître de conférences à l’Université d’Aix-Marseille I


Paru dans Mediapart daté du 29 octobre 2008 :
http://www.mediapart.fr/club/edition/lycee-en-chantier/article/291008/desossons-le-mammouth-et-mangeons-le